Bar

« Putain, y a un truc qui m’démange, faudra qu’j’pense à consulter…»

J’lui tournais le dos en me grattant le cul sous les draps. Fallait que je meuble. Ça faisait une heure que j’étais immobile, les yeux fermés, en mimant l’entre-deux-eaux dans l’espoir qu’elle se casse, et le silence était aussi pesant que ses gros nibards. Elle, elle avait pas fermé l’œil, y a des façons de respirer qui trompent pas, et j’m’étais senti épié toute la nuit, terré sous la couette sans oser broncher de peur que le moindre petit mouvement attire son attention et fasse qu’elle me saute à nouveau dessus.

J’l’entendais déglutir et descendre le rhum comme un bonhomme. Insatiable, ma queue lui avait déjà servi de bouteille une bonne partie de la nuit, et elle avait tété au goulot comme une forcenée au point que j’avais cru y laisser ma peau. Putain, cette gonzesse était vraiment une nympho de premier calibre. Ça j’l’avais compris dès qu’elle avait joui alors qu’j’m’insérais à peine entre ses lèvres. Moi, j’avais ramé comme un damné tellement cette conne m’avait fait mal. J’avais pourtant essayé de me concentrer, mais les dents qui creusaient des sillons sur mon chibre m’avaient chaque fois coupé l’excitation.

« Tu dors, euh…?

Cathy.

Cathy…ouais…j’savais qu’ça sonnait en i.

En même temps j’me rappelle pas t’avoir dit comment j’m’appelais… »

C’était cash, et vrai. Elle avait du caractère, fallait bien lui reconnaître ça, mais je m’en foutais, elle était pas là pour me faire un étalage de sa personnalité et j’étais pas là pour la scanner. Gros seins, petite bedaine dansante, jambes potables, suffisant question personnalité. Pour le visage, y avait un truc qui relevait du cubisme, un axe en diagonale qui m’empêchait de la regarder droit dans les yeux. L’ensemble tirait plutôt sur la droite, mais j’avais fait abstraction et m’étais concentré sur son coup de rein imparable.

« J’savais bien qu’tu dormais pas »

Tu parles. Comment j’pouvais fermer l’œil ? J’avais la queue en feu et les noix fracassées. J’ai décidé de pas rebondir histoire de pas prendre le risque d’être obligé de faire la conversation. Qu’est-ce qu’on pouvait bien avoir à se raconter de toute façon ?

« T’as rien à m’raconter ? »

Me suis même pas retourné. J’ai posé une main sur sa jambe, par politesse. Sous mes doigts, un muscle solide et plutôt bien taillé. L’effet talons, ça. Ce truc taillerait des jambes d’ange à la pire des feignasses. Faut avouer que sans cette petite bedaine qu’elle assumait pleinement, elle était pas loin d’avoir un corps parfait. Entendons-nous, par parfait j’entends capable de me faire bander sans interruption rien qu’en matant. Quoi ? La perfection c’est jamais rien d’autre que ce qui nous correspond.

J’pensais que la toucher suffirait et qu’elle comprendrait que j’avais pas envie de lui raconter ma vie, et encore moins qu’elle me raconte la sienne. Tu parles.

Elle a jeté la bouteille sur la moquette rongée et s’est retournée en chopant ma main. Alors qu’elle la déposait sur sa chatte lisse elle a tenté un yeux-dans-les-yeux que j’ai esquivé pour ne choper que le profil avant de repartir vers le vague. J’avais les yeux rivés sur une croûte attachée au mur, parmi les lambeaux de tapisserie, j’avais pas touché à la déco depuis que j’étais installé, et fallait vraiment que j’y pense un de ces matins.

Nan, en fait j’avais fait qu’appuyer sur le bouton « ON », et elle a remis ça illico.

« T’étais bien plus bavard hier ! Qu’est-ce qu’y t’arrives ? »

Elle a approché ses lèvres et a sorti la langue. Elle puait le rhum à la bite, et pour éviter les relents j’l’ai envoyée direct au turbin en la guidant par les cheveux. J’en pouvais plus et j’avais du mal à bander, mais elle pompait tellement fort qu’elle arrivait à me gorger la queue de sang et à me faire gonfler.

« Qu’est-ce qu’y t’arrives ?

Continue. »

Hier. Rien d’autre. Voilà ce qui m’arrivait. Juste « hier », et c’était suffisant pour tout résumer. On devait pas partager les mêmes souvenirs.

La veille vers 23 heures, j’tirais le frein à main de ma Ford à proximité de Lille-Flandres, sans avoir relevé la vitre assez rapidement pour empêcher les effluves de kebab de venir me choper aux tripes. J’décidais de vite tracer pour éviter les odeurs d’oignons et de viande reconstituée et les tox qui viendraient sans surprise me gratter une blonde, et guidé par mon Alprazolam et un cul de pétard, j’me dirigeais directement vers la vieille ville.

J’me perdais dans le dédale des ruelles pavées, heureux d’enfin trouver la tranquillité que j’cherchais, à peine troublée par les couples qui flânaient ou les clodos qui préparaient leurs cartons pour la nuit, jusqu’à arriver aux abords de l’Australian Bar. Là, deux merdeux défoncés jouaient des poings en hurlant. Une bagarre minable et sans style que les combattants éméchés ponctuaient d’insultes faciles en enchaînant des coups au hasard. Une droite faisait reculer l’adversaire de deux pas, il encaissait, revenait à la charge avec un coup de pied foireux qui envoyait l’autre valser, puis on reprenait au début. J’me faufilais entre deux reculs sans que les mecs me calculent et j’entrais dans le premier bar ouvert.

Correct. Boiseries soignées. Banquettes en skaï rouge. Vingt personnes au max, barman inclus, qui se laissaient bercer par de la pop merdique. J’allais au comptoir choper un tabouret en attendant que le barman posté à l’autre bout daigne se retourner vers moi après avoir fini de faire semblant de s’intéresser au mec qui jouait aux fléchettes. Torchon sur l’épaule, il ne quittait pas des yeux le tas de viande flasque qui faisait disparaître les projectiles sous des doigts dodus et qui gueulait comme un truie à chaque coup, que la fléchette frappe la cible ou pas. Les hurlements du gros gars semblaient surgir tout droit des veines saillantes qui striaient son crâne rasé au trois-lames, et se concluaient chaque fois par un coup de talon qui faisait trembler tout le bar. J’sortais une blonde, lui tapais le cul sur le comptoir et la glissais entre les dents. Le temps de choper mon Zippo, le barman posait ses mains devant moi.

« T’as vraiment l’intention de l’allumer ?

T’as vraiment l’intention de pas m’servir ?

Joue pas au con. »

J’comprenais que l’époque où les mecs que la fumée emmerdait et qui allaient faire le piquet sur le trottoir était décidément révolue, les donneurs de leçon avaient gagné et le barman semblait vraiment pas déconner. J’estimais dès lors qu’il était trop tôt pour se foutre sur la gueule, et que j’avais pas finement évité les deux abrutis à l’entrée pour me prendre une trempe par temps calme. Faut dire que le mec avait beau avoir une voix de castra, il était taillé comme un putain de titan. J’rangeais ma clope.

« Vodka. »

À contrecœur il a sorti la bouteille, a posé le verre devant moi, a fait lentement couler le liquide, a revissé le bouchon, a claqué la bouteille près du miroir derrière lui, et est retourné voir le gros tas tirer ses fléchettes à la con, le tout sans jamais me regarder.

Dès la première gorgée, j’me demandais ce que j’foutais là. J’réalisais qu’y avait de fortes chances que j’enchaîne les verres en supportant ces cons dans ce bar merdique, et l’idée que j’aurais pu être chez moi avec une petite femme qui gueule pas trop, plutôt bien roulée, un clebs, et deux mioches adorables qui dormiraient sagement dans leurs chambres bien décorées, m’avait titillée. Le fond de mon verre me disait que j’étais juste rien d’autre que la conséquence de chacun de mes choix, et que si j’étais pas en train de caresser un labrador qui laisserait ses poils partout et me léchouillerait les orteils pendant que ma petite femme plutôt bien roulée et qui gueule pas trop m’amènerait une canette fraîche que j’aurais siroté devant un jeu-télé avec un présentateur à la gueule orange, c’était peut-être tout simplement parce que j’avais balayé ces conneries du revers de la main chaque fois que les occasions s’étaient présentées.

Là, y avait pas d’autre réalité que mon cul posé sur ce tabouret, ce verre qui se vidait, et ces pauvres gens qui traînaient dans un bar loin de chez eux. Ça m’avait consolé quelques secondes : j’étais pas le seul tocard qui fuyait. Après tout, qu’est-ce qu’ils foutaient là eux aussi, un mercredi ? Quoi ? C’était juste ça ? On partageait le pas-de-cocon, le pas-de-femme ou le pas-d’homme, le pas-de-mouflets et le pas-de-vrais-potes, on partageait ces verres qu’on ne voulait jamais laisser vides parce qu’ils étaient la seule chose qui nous comblait ? On puait la misère et la solitude, rien d’autre, et à vrai dire, ça me plaisait plutôt. Ça évitait un paquet d’emmerdes. J’arrivais encore à ne pas partager mon silence, c’était déjà ça. Eux, discutaient pour ne rien dire, au pire se dandinaient pour se donner un peu de contenance, et au fond du gouffre jouaient aux fléchettes. J’étais heureux d’être seul, avec mon verre, n’attendant rien d’autre de la vie qu’un autre le remplace.

Elle s’est pointée entre deux tremblements de plancher. J’l’ai sentie saisir le tabouret d’à côté et s’installer avec un semblant de délicatesse, et par réflexe j’ai tourné la tête et jeté un œil. Happé par le décolleté sans avoir le temps de croiser son regard, j’repartais immédiatement du bas en essayant à peine d’être discret. Elle portait un jean moulant et des talons qui mettaient en valeur des jambes sympas, et le petit top noir semblait au bord de l’explosion sous la pression des nibards. Une odeur de parfum bon marché mêlée à celle d’aisselles en route depuis deux bonnes heures enveloppait le tout. J’arrivais au visage. Passable.

« J’suis triste, tu l’vois, beau gosse ?

—On a tous une raison de l’être, et c’est la première fois qu’j’te vois, t’as juste le visage d’une première fois.

—Tu m’fais danser, pour m’changer les idées ?

—J’ai l’épaule bloquée, j’risquerais d’te décevoir. »

J’avais pas trouvé mieux pour esquiver. Pas terrible, mais c’est passé.

« Et tu peux faire quoi d’autre ?

—Un verre. Pas mieux.

—C’est un début. Freddy, une vodka ! »

Freddy s’est retourné, a chopé la bouteille et un verre qu’il a immédiatement rempli. C’est peut-être ça qu’il m’aurait fallu, une belle paire de seins pour être servi sans attendre.

J’pensais que mes répliques étaient assez aiguisées pour qu’elle comprenne que j’voulais pas parler, mais elle a pas pu s’empêcher de bavasser. M’a demandé ce que j’faisais dans la vie. Grand classique. Tu commences à échanger avec une personne que t’as jamais vu, et faut toujours qu’à un moment ou un autre elle te l’envoie en pleine gueule : « et…sinon, tu fais quoi dans la vie ? ». Sinon quoi, déjà ? Tu veux dire, à part être dans un bar à siroter une vodka avec une connasse ? Et le « dans la vie ». C’est pas à gerber, ça ? Tu fais quoi « dans la vie » ? En gros tu cherches à savoir si j’suis « dans la vie » par erreur ? Faut forcément faire « quelque chose » ? J’ai répondu :

« Mathématicien. »

Avec ça, j’étais sûr qu’elle viendrait pas me faire chier avec les détails. Elle a rit. Mécanisme de défense, quand on comprend pas ce qui se passe ou ce qui se dit. Elle a rit souvent, tout le reste de la soirée.

On a choisi d’aller chez moi. j’l’ai laissée entrer, puis j’l’ai suivie et j’ai claqué la porte. J’ai compris que j’allais me faire bouffer dès que sa langue pâteuse a envahi ma bouche. Mauvais plan. J’étais plaqué contre la porte, et j’commençais à bander vraiment fort malgré tout. Quand elle m’a pris le paquet, j’ai vu dans son regard fou que j’l’avais mise en appétit et j’ai saisi que j’étais dans la merde. Elle est descendue, m’a baissé le froc, m’a aspiré jusqu’à la garde sans élan, avant de me jeter un coup d’œil qui me racontait qu’elle jouissait déjà et de se mettre au travail. Elle a poussé le truc au bout, et semblait attendre impatiemment à chaque aller-retour que j’balance tout. Elle tirait fort et tenait mes couilles à me les faire péter. J’ai laissé venir, même si ça me tirait de partout, et j’ai craché. Elle semblait satisfaite, et ne se souciait pas de savoir si j’avais joui ou pas. Les femmes pensent que le foutre matérialise l’orgasme masculin, faudrait qu’elles tentent l’expérience d’avoir une queue pour comprendre.

J’ai remis mon bénard et suis allé me poser dans le canapé, où j’entamais la préparation d’un joint. Elle est venue s’asseoir, sans prendre le temps d’aller cracher dans l’évier. J’étais dans ses entrailles, et elle se jetait à nouveau sur moi et pour m’embrasser encore. La vodka ne masquait pas le goût, et alors que sa grosse langue fouillait ma bouche, j’avais l’impression de me mâchouiller la queue. J’l’ai repoussée gentiment, prétextant qu’il fallait qu’on se boive un truc. J’avais un fond de whisky et une bouteille de rhum planquée sous l’évier. J’lui ai indiqué où se trouvait la bouteille, espérant bien qu’elle ne verrait pas l’autre, et j’ai fini de rouler mon joint.

Elle est revenue de la cuisine en sirotant le whisky. Entre temps, elle s’était dessapée. C’est là que j’ai vu la première danse du ventre. J’ai essayé de ne pas rester bloqué sur son petit bourrelet pour pas foutre la soirée en l’air, et faut dire que ses seins magnifiques retenaient toute l’attention. Elle m’a tendu la bouteille tandis que j’allumais le pétard, et on se l’est enfilée sans prononcer un mot. On regardait droit devant nous, en s’échangeant la bouteille et le joint toutes les deux ou trois gorgées de whisky. De temps en temps, elle riait. J’lui ai pas demandé pourquoi. On ne parlait pas. On se chargeait juste le corps de saloperies, et il lui arrivait de se glisser un doigt.

J’me souviens mal de l’enchaînement des actes qui ont suivi. J’sais qu’elle a fini par jeter le cadavre de la bouteille contre une porte avant de me sauter dessus, dans le canapé. Puis y a eu la moquette. Un peu de cuisine. Un tour dans la salle de bain, et j’crois même qu’elle est venue me chercher jusqu’aux chiottes.

On s’était fini au pieu. Là, j’fournissais le strict minimum d’efforts et j’la laissais s’amuser avec mon bazar en attendant qu’elle soit rassasiée.

Voilà donc ce qui s’était passé « hier ». Et elle s’étonnait que j’parle pas. J’avais mal partout. J’étais K.O. Et comme si ça suffisait pas, elle finissait de me mastiquer ce qui me restait de queue. Elle n’en avait vraiment rien à foutre que j’réagisse pas. J’l’ai laissée finir. J’ai du sortir une dernière goutte pour la contenter, alors que j’étais au bout, comme un tube de dentifrice. Et j’voulais pas qu’elle tente de me la rouler entre ses doigts pour s’en assurer.

Après s’être fait les derniers restes, elle s’est relevée et s’est dirigée vers la cuisine. Beau cul. Dommage pour ce bide. Elle est entrée dans la chambre 10 minutes plus tard, habillée, maquillée, mais pas lavée, sûr, j’avais pas entendu l’eau couler.

« Au fait, comment va ton épaule ?

—Mon… ? Ah oui…ça va…ça va mieux.

—J’vais t’laisser mon chou, faut qu’j’aille travailler. C’était super. Tu sais où m’trouver, hein ? »

J’savais où ne plus foutre les pieds pour qu’elle me laisse tranquille jusqu’à la fin de l’éternité.

« Ouais, t’en fais pas, j’lui ai dit lâchement.

—Tu fais semblant de rien, mais t’es un super coup, et t’as vraiment l’air d’être un super mec.

—Toi aussi. »

Mon cul.

Elle s’est cassée.

Putain, moi aussi fallait qu’j’aille au taf.

SCOLTI, Octobre 2018

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