ça t’plait mon chéri ?

Fouler le bitume strié de pavés de la rue de Sarrazins direction la place du Marché, c’est comme traverser les coulisses avant le spectacle. Dimanche. Ça va hurler pour écouler le stock de tomates, d’olives, de tissu. Chaque fois le même topo. Odeurs d’ici, d’ailleurs, musique qui déborde des terrasses, mix de langues, on passe d’un pays à l’autre en un scratch.

Au 56, j’suis aspiré par la foule qui s’entasse dans la rue en sifflant des mousses. Jl’ève les yeux, et Le Cheval Blanc se cabre juste devant moi. Bar bondé, porte grande ouverte d’où s’échappent des chants repris à l’unisson. Ça déclenche l’envie de café, histoire d’effacer mes cernes, alors j’suis prêt à jouer des coudes pour tenter ma chance au comptoir. Mais la femme chope mon bras. J’arrête net. Sourires. Postée sur une chaise à l’entrée, gardienne du temple de la fête, elle envoie un ça va mon chéri moi c’est Josette bienvenue chez nous ! Ambiance posée. L’impression que ma grand-mère me fait du gringue. Poli j’fais la bise, mais j’la remets pas, alors j’questionne, on s’connaît jolie madame ? Sans faire gaffe au volume elle enchaîne, moi c’est Josette j’tiens le bar avec ma sœur Monique et mon frère Christian j’viens aider chaque dimanche et y a aussi Sébastien le fils à Monique qui vient filer un coup de main. Affaire de famille, OK. Sourires. Va, va vivre ! J’entre.

J’slalomme entre ceux qui lèvent le verre en chantant, le jack russel qui galope entre les guiboles, la nana à l’afro qui tricote au fond, la hippie qui rédige son devoir de trigo sur un coin de table et les danseurs aux mille couleurs qui tournoient sur une reprise des Mots Bleus.

Derrière le comptoir, Monique s’agite, portée par ses crocs qui l’emmènent de la pompe à bière à la machine à café. Sa voix couvre tout le bordel tellement elle porte. J’lève la main comme à l’école pour commander mon café, mais le black à la perruque-carré-bleu me dame le pion, attrape sa chope et repart gambader. Monique est déjà ailleurs. Mon café aussi. Dehors, la pluie fait rideau, et j’devine que la foule va tenter de remplir ce qui reste de place dans le bar. Que dalle. Ils finissent leur nuit, sentent à peine l’eau qui tombent dans leurs verres, hurlent. Sourires.

Je ne connais plus personne… Ça chante et ça remue, ça gesticule dans tous les sens pendant que Monique baisse le levier de la pompe sans jamais arrêter. Christian aussi chôme pas. On se reposera dans la tombe. Ils ont quoi, 50, 60 balais, impossible à dire vue l’énergie qu’ils dégagent, et un instant j’me dis qu’ils jetteront une poignée de terre sur mon cadavre. J’abandonne l’idée d’être servi. Tour d’horizon.

Monique : Apporte le verre à m’man ! Le mec a l’oeil qui fuit mais trouve le chemin, et j’comprends que la doyenne est sur la chaise, juste derrière le groupe, la tête collée à l’enceinte qui donne sur la partie resto. La logique a été aspirée par les bondes, l’ordre est une notion fantôme qui n’a jamais réussi à passer la porte, et le doux chaos qui règne me booste. Alors j’remue lentement les hanches sur La Javanaise. Un mec sapé à la Où est Charlie pose son bras sur mon épaule. Sourires. Me v’là marin. J’connais pas le texte, mais ça intéresse personne, suffit d’ouvrir grand la bouche, se dandiner, participer au fourmillement.

Le bassiste cale l’instrument sur son bide. Concentration. Chansons que j’suis seul à pas connaître et que toutes les générations entonnent à tue-tête. J’la joue yaourt, j’cale les mots juste après qu’ils soient sortis des autres bouches, jusqu’à ce que ce karaoké-décalé me pousse à prendre l’air. Slalom.

La pluie. Josette, toujours calée dans sa chaise, ignore l’eau, protégée par sa casquette qui préserve son mégot. Ça te plaît mon chéri ? C’est de la folie j’lui dis. Ouais, c’est comme ça depuis 1998, chaque dimanche c’est la vie ! Notre histoire d’amour et d’amitié ! C’est ça le Cheval blanc ! Étudiants, travailleurs, chômeurs, qui tu veux, on refuse jamais personne (confidence à l’oreille, câlin) sauf les Gipsy Kings ! Ils ont voulu venir jouer ici une fois, mais on préfère les Zazous nous !

J’comprends. Affaire de famille. D’amour. D’amitié. L’odeur et l’essence du Nord. Sourires. Quand les gens rencontrent les gens. Paraît qu’on a les bras ouverts, qu’on aime les autres, et on dit que chez nous ce qui est notre est votre. Paraît qu’on a dans le cœur, les gens du Nord, le soleil qui se cache parce qu’on l’a pas dehors. Paraît qu’au Cheval Blanc y a des femmes et des hommes chez qui la folie est la norme.

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