Je sens cette goutte qui grandit sur mon front, et sa jumelle qui hésite à se faire la malle en longeant mes tempes. Il doit faire au moins 39, sûr. Pas possible autrement. J’arrive même plus à dire si le plafond est bleu tellement le soleil tape. J’ai beau scruter le ciel, allongé sur mon transat en bois exotique, et chercher un signe quelconque parmi les rares nuages, je ne trouve rien.
Ma cigarette se consume lentement, la fumée m’enrobe le bras comme une meute de vipères pour me cramer les doigts. Comme si j’en n’avais pas assez.
Je regarde mes bras pendre, pas envie de faire le moindre effort. Dead Wrong. A capella de folie sur une prod’ bien lourde. Je bouge la tête en rythme, rebondissant instinctivement sur chaque mot balancé par Biggy Small.
Je ne les entends plus, mais je sais qu’au loin les vagues viennent finir leur voyage sur la plage déserte. Ma plage.
Et puis, y a cet oiseau qui dessine des cercles à des kilomètres au-dessus de moi. Des cercles. Parce que cette logique est en toute chose. Parce qu’on revient toujours d’où on est parti. Parce que les détours ne font que nous écarter de la direction, qui ne change jamais. Qui nous attire comme un aimant.
Le vautour m’épie. Il attend un signe, lui aussi, pour venir me picorer les raisins. Il tourne sans arrêt, encore et encore, et je le suis du regard tout en bougeant la tête, toujours, laissant les basses me défoncer le torse. Le rapace sent que le festin n’est pas pour aujourd’hui, alors il fend le ciel, résigné, et part pour d’autres aventures. Libre, sans conscience, sans scrupules, sans mémoire pour le hanter.
Ces foutus rayons de soleil assiègent ma propriété et s’écrasent comme autant de comètes contre les colonnes blanches de mon gigantesque jardin, contre mes arbres et mes plantes exotiques aux noms imprononçables. Exotisme. Clichés sur le pêle-mêle de ma vie chaotique.
Ma villa est orientée plein sud. C’est bien, plein sud, mais y a pas d’ombre. Faudra que je fasse planter deux ou trois palmiers de plus. J’ai la piscine, d’accord, mais là j’ai pas envie. Pas une once de vent. Ma gorge s’assèche, j’ai du mal à racler le peu de salive qui me reste. Y a ce verre sur la table, il semble être au bout du monde. Faudrait qu’on me le foute dans la main tiens, comme ça. Un claquement de doigts.
Ça y est, les gouttes se décident à couler. Du front vers les oreilles, avant de franchir la nuque pour fendre le cercle que j’ai tatoué dans le dos. Je suis là et je laisse faire.
Je ne sais pas s’il faut que je me considère comme quelqu’un d’heureux, je ne sais pas s’il faut que je me plaigne, je ne sais pas si je dois sourire ou me flinguer. C’est tentant et ce serait si facile. Mon calibre m’attend, rangé au fond de son tiroir. Il brille même dans le noir, lui. J’imagine les lueurs du chrome, je sens bien qu’elles m’appellent, comme un putain de phare dans une tempête qui n’en finit pas.
Et puis, y a ce gros son qui fait craquer mes enceintes, ces beats ininterrompus qui rythment ma folie. Je bouge la tête comme par réflexe, une moue se dessine sur mes lèvres, force mes sourcils à se froncer. J’opine du chef, on croirait un de ces clébards ridicules qui gigotent sur les plages arrière des bagnoles de péquenauds.
J’entends Louise et Claudia rire comme les deux pétasses qu’elles sont. Elles jouent dans la piscine, putain, on croirait des gamines. Elles se taquinent à demi nues, se balancent de l’eau du revers de la main et en profitent pour s’enlacer de temps à autre.
– Tu viens te baigner ? me lance l’une des pétasses.
– Lâche-moi, j’suis pas d’humeur, je réplique.
Autant être honnête.
– Tu sais pas ce que tu rates, ricane l’autre.
Comme si je savais pas. Par coeur.Toutes les excuses sont bonnes pour se rouler des pelles. Elles m’épuisent, ces deux-là. Jamais rassasiées. Elles réclament tellement que j’en perds l’envie de bander. Trop facile. Trouvent toujours la solution pour s’occuper sans moi. Pourtant, Dieu sait si elles sont belles, ces garces… et je sais même plus d’où je les sors. Enfin, j’évite de m’en souvenir, plutôt. Se souvenir, c’est regretter. Être lié.
Alors, je les prends pour ce qu’elles sont : deux corps parfaits, un concentré de muscles et de courbes qui s’entremêlent sans griffer l’oeil. Deux panthères qui déambulent toujours à demi vêtues. Elles profitent bien de la situation, mais j’en aurais fait autant à leur place. Alors pourquoi pas. Et puis, je le leur rends bien.
Putain, je suis riche. Blindé, plein aux as. J’ai tout ce que j’ai toujours voulu et bien plus encore. Mais au fond, je crois bien que j’ai que dalle.
Je tourne la tête, synchro avec le beat. J’ai ça dans le sang ; un cadeau de mon père. Mon regard se fige sur Cybèle. Elle se dore la pilule, de tout son long dans l’herbe, Cybèle. Je n’en finis pas de gravir ses jambes, mes yeux s’épuisent tellement ça dure. Cette fille me rend dingue. À la voir se larver dans mon jardin avec la grâce d’un serpent, je me dis que j’ai pas fait tout ça pour rien. Je me rappelle la fois où je l’ai vue sortir de chez ce tatoueur. Elle m’avait soulevé les tripes. Je ne sais pas si je l’aime, au fond. Elle ne me laisse pas le croire.
Je n’ai jamais pris le temps de m’attarder sur leurs vies, savoir d’où elles venaient, qui elles étaient, où elles allaient. Je m’en fous, royal. Ce qui compte, c’est que je suis bourré de fric. Et qu’elles tueraient toutes les trois pour être dans mon pieu.
Votre commentaire